Trouver sa voix, pour trouver sa voie

Un large sourire aux lèvres, Priam se fraya comme il pouvait un chemin vers le bar pour aller se prendre une bière, mais c’était compliqué. Sur son chemin, il y avait ceux qui étaient déjà trop calcinés pour comprendre ce qu’il se passait autour d’eux, ce qui tentait de danser malgré le peu d’espace, et ceux qui lui tapotaient l’épaule et tentaient de faire la conversation comme s’ils se connaissaient. Les derniers étaient d’ailleurs les plus nombreux, et ça lui donnait un peu l’impression d’être une star. On était jeudi soir, et le jeudi soir, au bar du… il avait déjà oublié le nom, c’était soirée karaoké. Priam n’avait pas très souvent participé à ce genre d’évènements, mais il aimait s’y rendre pour profiter de l’ambiance bon enfant qui y régnait en général. En fait, c’était même l’une des seules raisons qui pouvait le faire entrer dans un bar hétéro. Non parce qu’on va être sérieux deux secondes, les bars hétéros sont d’un ennui tellement mortel que quand tu dragues dans un bar gay, tu tombes la moitié du temps sur un mec hétéro qui veut juste s’amuser. C’est statistique, on y peut rien.

Bref, une fois sa bière durement gagnée dans les mains, Priam partit s’installer dans un coin près de la scène pour observer les autres concurrents. Car aujourd’hui était un grand jour, il s’était inscrit au concours, et il s’était même qualifié. Pour tout avouer, de son point de vue, son chant était aussi mélodieux que le crissement des ongles de sa prof de physique de sixième sur le tableau noir. Mais il y avait deux choses qui jouaient en sa faveur, le nombre incroyable de personnes qui trouvaient le moyen de chanter plus mal que lui, et son déhanché du tonnerre. En effet, pour sa première chanson, il avait eu la mauvaise idée de choisir « Lose yourself » de Eminem, une chanson qu’il connaissait par cœur et qu’il trouvait très cool encore aujourd’hui. Problème, une fois sur scène, il réalisa trop tard qu’il n’était pas Eminem, et qu’il peinait douloureusement à suivre le rythme effréné des paroles. Voyant qu’il perdait l’intérêt de la foule, il fit la seule chose qui lui vint à l’esprit à ce moment-là. Il dansa. Il sortit ses plus beaux pas de hip-hop et, bizarrement, ça rattrapa le coup. Les organisateurs avaient dû penser qu’à défaut d’avoir de la voix, au moins il savait mettre l’ambiance.

Priam ne fit pas la même erreur sur les chansons suivantes, et se choisit des titres plus accessibles. Après quelques éliminations supplémentaires, on annonça que les chansons suivantes seraient chantées en duo pour ne pas défavoriser les concurrents. C’est après avoir battu à plate couture une jeune femme sans doutes mieux placée pour gagner le concours du meilleur cri de cochon qu’autre chose qu’il alla se prendre une bière. Sa gorge était complètement sèche, mais à par ça, il passait une très bonne soirée. Il commençait presque à se demander ce qu’il ferait s’il recevait les 300$ promis à l’heureux gagnant. Il devint particulièrement attentif quand le duo qui allait décider de la prochaine personne qu’il affrontera monta sur la scène. À ses oreilles, l’une des deux était clairement meilleure que l’autre. Une femme blonde, plus vieille que lui sans qu’il ne puisse vraiment déterminer son âge. Il ne la connaissait pas, et son apparence ne lui permettait pas de déduire grand-chose sur elle, mais c’est sans surprise qu’elle remporta la manche. Alors qu’elle descendait de la scène, il se faufila pour la rejoindre. Ils devaient bien avoir cinq à dix minutes devant eux pour se choisir une chanson et papoter, et Priam compter bien en profiter. Une fois assez près d’elle, il lui fit un petit signe et un sourire.

« Salut ! Moi, c’est Priam, on va chanter la prochaine chanson ensemble. » Il se trouva un coin où poser son verre avant de s’intéresser à nouveau à elle. « En tout cas, bien joué, tu as vraiment une super voix. Tu chantes beaucoup ? »

Priam observa un peu les participants suivants pour voir ce qu’ils avaient choisi comme chanson, avant de s’en détourner.

« Ça fait longtemps que tu es à Longford ? J’y vivais gamin et ça fait peu de temps que je suis revenu, mais je pense pas t’avoir déjà vu. »

Il regardait sa concurrente avec un sourire avenant, en définitive il se fichait de gagner ou de perdre. Il était surtout là pour s’amuser et faire des rencontres. Hors de question pour lui de se renfermer sur lui-même comme il avait pu le faire plus jeune. C’était peut-être la vraie raison de son retour ici, une sorte de revanche. Une bonne revanche, presque un renouveau.

Maintenant qu’il était près d’elle, Priam remarqua le soin avec lequel la dénommée Evy s’était maquillée et coiffée. Rien à voir avec lui, qui portait en ce moment le fameux t-shirt-du-dessus-de-la-pile. Ce t-shirt qu’il portait très souvent, pas parce qu’il l’aimait particulièrement ou le trouvait joli, mais juste parce qu’il avait trop la flemme de fouiller dans son armoire de façon plus approfondie. Malgré leurs différences de style, la conversation avec la jeune femme s’engagea facilement. Il fut un peu surpris d’apprendre qu’en réalité, elle ne chantait que toute seule sous la douche, et se dit qu’elle avait quand même un certain talent pour moduler sa voix et la rendre agréable. Peut-être était-ce inné dans ce cas, ou alors elle prenait vraiment beaucoup de douches. La suite le surpris beaucoup moins, comme il l’avait pensé, Evy était nouvelle en ville, et elle venait de loin.

« C’est très beau, le Maine, j’y suis passé il y a un moment. On est un peu pareils, tous les deux, du coup. Ça fait quelque temps que je suis revenu ici, mais j’étais occupé par les travaux chez moi et ma recherche de job. J’ai pas vraiment pris le temps de sortir et m’amuser avant aujourd’hui. »

Ça ne voulait pas dire qu’il n’avait rencontré personne, il y avait eu Creed, avec qui les choses étaient rapidement devenues intenses, et quelques autres, mais c’était différent de la soirée actuelle. Le sujet vint alors sur la chanson qu’ils allaient chanter en duo, et Evy en proposa une, Always. C’était une chanson d’amour qui passait pas mal en ce moment, en tout cas pour lui qui travaillait dans un magasin de disques où la musique tournait en permanence, il l’entendait souvent. C’était une chance, car du coup, il la connaissait bien.

« Ça me va, on part sur « Always » alors. J’espère que je vais pas trop me rayer les cordes vocales sur les aiguës. » Un instant, il se détourna de la jolie blonde, fixant un point quelconque, l’air concentré, il chantonna. « You're in my head… Always, always… » Il revint ensuite dans la conversation comme si de rien n’était. « Non, ça va aller, je pense. »

Un autre duo était monté sur scène, il ne restait plus beaucoup de candidats, mais c’était les meilleurs, du coup leurs chants étaient plus agréables, et l’ambiance dans le bar n’en était que meilleure. Sirotant sa bière, Priam écoutait la musique en bougeant la tête en rythme.

« Tu as pris le temps d’explorer un peu les alentours ? Si tu aimes te balader, y’a vraiment de très beaux coins à voir. On est gâté au niveau des paysages par ici. »

Ils eurent le temps de papoter encore un peu avant que leurs noms ne soient appelés. Après avoir donné le titre de la chanson choisie, Priam suivit Evy sur la scène. Il n’avait pas de grands espoirs quant à sa réussite sur ce coup-là, et sa voix cafouillait un peu quand il la faisait trop monter, mais il fit de son mieux. Au moins, il remarqua une légère amélioration par rapport à ses premières performances, c’était un point positif. Sur la fin de la chanson, quand il ne restait plus grand-chose à faire à part répéter « Always », il attrapa gentiment par la main d’Evy pour la lui lever et l’inciter à faire un tour sur elle-même et quelques petits pas de danse. C’était peu de chose, mais ça suffit à déclencher quelques applaudissements et sifflements de la part de la foule. Une fois la chanson finie, et après un bref moment de suspens, c’est Evy qui fut choisie comme gagnante. Priam eut un léger rire en retournant à la table où ils avaient commencé à papoter plus tôt.

« Ah, je m’y attendais, j’avoue. » Il ajouta en riant. « Tu as intérêt à gagner maintenant. Comme ça, au moins, je pourrais dire que c’était pas ma faute. Je suis tombé sur la meilleure chanteuse de Longford, comment lutter ? »

Toujours souriant, Priam porta à ses lèvres son verre de bière, avant de constater qu’il était vide. Il devait y avoir un trou dedans, c’est pas possible. Pointant du doigt le bar, il demanda.

« Tu veux boire quelque chose ? Quoi que je sais pas quand tu vas devoir rechanter. Il ne reste plus qu’un ou deux duos, non ? »

Priam n’avait pas tout suivi, mais le concours touchait bien à sa fin, et maintenant, il espérait vraiment qu’Evy gagne, mais aussi qu’ils puissent continuer à bavarder. Il trouvait la jeune femme d’agréable compagnie, et peu importait le concours là-dedans.

La discussion entre Evy et Priam allait bon train. Après qu’elle eut avoué aimé la nature, il lui expliqua que c’était aussi son cas et qu’il connaissait du coup pas mal de coins très sympas à explorer. Il était encore en train de décrire tel ou tel endroit quand leurs noms furent appelés pour le duo. S’il ne gagna pas, Priam n’eut aucuns regrets, il avait fait de son mieux, il s’était amusé, et il n’avait même pas pensé qu’il pourrait aller aussi loin à la base. En fait, son gros lot à lui, c’était Evy, qui lui paraissait de compagnie un peu plus agréable à chaque minute qui passait. Il eut un sourire quand elle lui dit qu’il avait bien chanté, et éclata carrément de rire quand elle le traita de flatteur. Selon lui, Evy était quand même modeste, peut-être n’était-elle pas la plus grande chanteuse de Longford, mais elle avait quand même un vrai talent. Cela dit, c’est surtout la fin de sa réplique qui lui fit écarquiller les yeux.

« Professeur et écrivain ? Wouah, ce sont de beaux métiers ! »

Difficile de mettre sa parole en doute, Priam avait l’air véritablement impressionné. Tandis qu’ils retournaient à leur table avec leurs verres, il chercha à en savoir plus.

« C’est pour ton travail que tu es venue ici, pour le lycée ? Et qu’est-ce que tu écris ? » Il sirota sa bière en l’écoutant. « Ça m’est arrivé de vouloir écrire, c’est pas les idées qui me manque, mais rester assis à taper sur un clavier, c’est juste… Non. Je suis plus un manuel, j’ai pas mal bossé dans la menuiserie. Plus en ce moment, malheureusement, mais je compte m’y remettre. D’ailleurs, si tu as des travaux à faire… »

Il eut un léger rire, mais après tout, on sait jamais, si Evy venait juste d’arriver il y avait peut-être des choses à arranger dans son appart ou sa maison. Il allait se remettre à parler quand un type plus loin attira son attention.

« Ah, je crois qu’on te cherche. »

Et en effet, le type du prochain duo arriva à leur table, Priam les laissa s’arranger entre eux, et quelques minutes plus tard, c’était à eux de monter sur scène. C’était cool. L’ambiance dans le bar était toujours aussi sympathique, et avoir quelqu’un à soutenir donnait à Priam l’impression d’être encore dans la course. Quelle que soit l’issue du duel, il applaudit chaleureusement à la fin de la chanson.

« Je regrette vraiment pas d’être venu ici ce soir. » Lança-t-il quand Evy fut de retour.

Le concours continua d’avancer, et se termina finalement avec le sacre du grand vainqueur. 300 $ de gagné, ce n’était pas rien, mais en voyant le monde rassemblé dans le bar et le trottoir devant, inutile d’être comptable pour deviner qu’une soirée pareille devait rapporter une coquette somme au propriétaire des lieux. Peu après la fin, Priam proposa à Evy de sortir, et ils se retrouvèrent devant l’entrée, un peu à l’écart des fumeurs.

« Ouf, un peu de calme, d’espace, et d’air frais, ça fait du bien. »

C’est sûr qu’après être resté entassés à l’intérieur aussi longtemps, la différence se faisait ressentir. Et il savourait d’autant plus.

« C’est bien de voir des gens, mais pas trop d’un coup. »

À nouveau, il eut un petit rire. Plus tôt, Evy s’était qualifiée d’associable, et sur ce point, il se reconnaissait assez lui aussi. Ou disons que c’était un « sociable débutant ». Sans vraiment y penser, il se mit à regarder le ciel, c’était une de ses plus vieilles habitudes. Aujourd’hui, il n’y avait pas trop de nuages, et la ville était suffisamment petite pour que ses lumières n’empêchent pas complètement de voir les étoiles. Pensif, il lâcha.

« Y’a pas à dire, c’est vraiment un joli coin, malgré toutes les histoires qui circulent. »

Parler avec Evy était vraiment plaisant, c’était un peu surprenant pour Priam d’accrocher si facilement avec quelqu’un alors qu’il y avait eu comme un mur entre lui et les autres pendant toute sa jeunesse. Les choses lui semblaient maintenant évidentes, ce mur, c’était lui qui l’avait créé. Sans vraiment le vouloir, il fit un petit parallèle avec Creed. Les circonstances étaient un peu différentes, lui et le marshall avaient à peu près le même âge. Ils ne s’étaient pas beaucoup côtoyés plus jeunes, mais ils avaient grandis ici, et Priam nourrissait déjà une petite admiration pour lui à l’époque. C’était différent, mais pourtant le contact était un peu le même, comme s’il était évident qu’ils devaient se rencontrer. On revient toujours à Longford, il paraît, peut-être que tout ça était écrit.

Mais trêve de métaphysique, Evy titilla la curiosité de Priam pour des raisons très concrètes. Elle lui parla de nouveau départ, d’avoir tout perdu. Plus d’inspiration, plus d’envie. Cela lui rappela immédiatement sa plus vieille amie, la dépression. Encore aujourd’hui, et malgré son sourire, elle n’était jamais bien loin. Qu’est-ce qui avait pu arriver à Evy ? Il sentait bien que c’était trop tôt pour le demander. Elle était restée volontairement évasive, signe qu’elle ne voulait sans doute pas en parler. Quand elle aborda les doutes qu’elle avait sur son idée de reconversion dans l’enseignement, il se tritura la barbe d’un air pensif.

« C’est pas moi qui vais pouvoir te conseiller là-dessus. L’école, c’était vraiment la jungle et je détestais y aller. J’ai toujours trouvé qu’on ne passait pas assez de temps à parler de choses vraiment intéressantes, comme l’informatique, la politique, ou la science, et beaucoup trop à parler de fonctions, ou à faire des courbes. Et après on te dit que les Américains pensent que les vaches marrons font du chocolat au lait, qu’ils te montrent le Brésil quand tu leur demandes où est l’Inde sur une carte, et qu’ils élisent toujours les pires crétins à la présidence. »

Priam aurait pu continuer à parler de ça pendant longtemps, mais un sujet bien plus intéressant de son point de vue arriva sur la table. La menuiserie. Rien qu’en entendant le mot « aménagements », il en avait les yeux qui clignotent.

« C’est sérieux ? J’adorerais te filer un coup de main. Et ouais, je tombe toujours à pic. Les gens ne le savent pas forcément, mais ils ont tous besoin d’un Priam. »

Bon d’accord, là il faisait un peu le beau, mais il fallait noter que, si Priam était loin d’être ivre, il avait quand même bu quelques verres. Assez pour le débrider un peu, bien que son sourire beaucoup trop large montrait qu’il n’était pas du tout sérieux. Après cette discussion, Evy remonta sur scène. Il eut malheureusement du mal à apprécier la chanson, car l’autre candidat en faisant vraiment des caisses et faisait tout son possible pour monopoliser l’attention. On se serait cru dans le bêtisier de The Voice, et ce fut d’autant plus vrai lorsque le type en question fut éliminé et quitta le bar en lançant quelques répliques furieuses. Priam le regarda partir, un sourcil haussé et une nouvelle bière à la main.

« Pauvre type. »

Heureusement, le mec venait à peine de claquer la porte que les conversations et la musique reprirent comme si tout le monde l’avait déjà oublié. C’était l’heure de la finale, et une certaine excitation avait gagnée le bar. Tout le monde attendait de découvrir les chansons choisies par les deux sélectionnées, et voir qui allait remporter la palme. Quand Evy remonta sur scène, Priam applaudit et siffla avec les autres. Et puis les premières notes s’élevèrent, et… Ouais, pour le coup, il écarquilla les yeux avec les autres. Il n’y connaissait rien en musique, il n’était même pas sûr de savoir distinguer le rock du metal, mais peu importe, la différence entre cette ultime chanson et les précédentes était nette. Mais plus important encore, Evy – Evy metal, ha ha ha ! … Pardon… – s’éclatait vraiment sur ce coup-là, et elle enflammait la salle. Alors qu’elle relâchait ses cheveux se mit à danser, Priam leva les bras en l’air en faisant le signe du métal, avec les doigts du milieu pliés et les deux aux extrêmes tendus. C’était la seule chose qu’il connaissait sur le métal, et ça lui fit faire un drôle de stretching des doigts parce qu’il n’avait jamais fais ce signe avant, mais bref. Se rapprochant un peu de la scène, il se mit à danser aussi, son épaule heurtant régulièrement celle d’un autre type qui se trémoussait lui aussi dans le faible espace. Il applaudit longuement et bruyamment quand la jeune femme quitta la scène. Elle riait et rayonnait comme jamais.

Priam ! J’ai besoin d’une bonne bière ! J’ai soif !

« Tu m’étonnes ! C’était incroyable ! »

Ils écoutèrent ensuite l’autre concurrente, dont la prestation était extraordinaire, mais beaucoup moins originale ou risquée. Le résultat à peine tombé, Priam proposa de sortir. Après ce moment de folie, et cette longue soirée passée entassé dans cette salle, l’air frais de l’extérieur lui fit un bien fou. Evy lui paraissait transformée, ce n’était pas juste à cause de ses cheveux qui semblaient décidés à braver la gravité. C’était comme si un verrou avait lâché et qu’elle s’était subitement libérée. En tout cas, sa bonne humeur était communicative, et il avait le sourire juste en la regardant. Il eut un petit rire quand elle lui proposa de partir, c’était le genre d’impulsions qui le prenaient aussi dans ce genre de soirée. D’un signe de la main, il montra son pick-up, et s’y rendit en quelques pas. Une fois à l’intérieur, il indiqua.

« Bon, ce sera pas vraiment mon endroit préféré. J’en ai plusieurs, mais j’ai pas trop envie de me retrouver perdu dans le noir en pleine forêt, même si je crois que j’ai une lampe torche dans la boîte à gants… On va faire un truc plus classique ce soir. »

Priam démarra, et quelques minutes plus tard, il s’engageait sur une petite route qui grimpait dans la montagne. Il considérait l’endroit où il emmenait Evy comme « classique » parce qu’il était sûr que pas mal d’ados sous hormones s’y rendaient de temps à autre, mais il était presque sûr que seuls les locaux connaissaient le coin. Ce devrait être une nouveauté pour sa nouvelle amie. Alors qu’ils cheminaient dans la pénombre, il voulut rectifier une petite chose.

« Après réflexion, je crois que tu ferais une prof plutôt cool. Les seuls professeurs dont je me rappelle sont ceux qui étaient passionnés par leur discipline. Ceux-là donnaient envie d’apprendre. »

Après une dizaine de minutes, l’obscurité que créaient les arbres autour d’eux laissa subitement la place à un ciel rempli d’étoiles. Priam quitta le chemin, et même si sa voiture était conçue pour ce type de terrain, il y eut pas mal de cahots sur les quelques derniers mètres. Il s’arrêta finalement, et sortit en laissant les phares du pick-up allumé, ce qui éclairait bien l’espace devant eux.

« Fais gaffe à pas glisser, hein. »

Ils se trouvaient dans un coin à peu près plat et presque sans arbres, mais qui donnait sur une pente abrupte. En s’avançant un peu, on voyait la ville toute illuminée, nichée dans le creux des montagnes et l’écrin que formaient les forêts alentours, le tout sous un ciel beaucoup plus riche d’étoiles que ce que l’on pouvait voir en ville.

« Bon, en vrai, c’est surtout les amoureux qui viennent ici. On a de la chance qu’il y ait personne, ça aurait pu être gênant. » Il eut un petit rire en se remémorant un vieux souvenir. « C’est un mec qui m’a emmené ici la première fois. Je voulais voir les étoiles. Pas lui. »

Il rit un peu plus, avant de montrer un endroit du doigt.

« Moi j’habite là, le vieux bâtiment dans la rue qui monte, après l’église. C’est là que j’ai grandi. »

Il observa encore un peu la vue, avant de reculer pour s’asseoir sur le capot de sa voiture. Si leur petite escapade avait été préméditée, il aurait pris de quoi grignoter et s’asseoir, mais le tournant imprévu qu’avait pris la soirée avait aussi son charme.