Les ambitions d'Evy

Le jour se lève et les premiers rayons du soleil commencent à inonder l'appartement d'Evy. C'est une journée de semaine et son réveil ne va pas tarder à sonner. Evy n'a toujours pas travail mais c'est important pour elle de garder un rythme normal. Pour le moment, elle dort profondément dans son lit, lovée dans la position du fœtus, et couverte jusqu'à la tête. Le bruit commence à s'entendre en bas dans la rue principale de Longford. C'est vrai que c'était un peu bruyant, mais vivre dans la rue principale avait pas mal d'avantages. Elle avait tout sur place, pouvait profiter de l'agitation de la rue de sa fenêtre quand elle était un peu morose, cela l'aidait à ne penser à rien. Et puis surtout pour une femme seule c'était beaucoup plus rassurant. Elle ne s'imaginait pas du tout dans une de ces maisons luxueuses à la bordure de la ville, isolées les unes des autres, loin de tout. Ça avait pourtant été sa vie d'avant, mais justement, il lui fallait du changement. Elle avait eu beaucoup de chance d'obtenir cet appartement, il était juste parfait. Très lumineux et haut de plafond, spacieux, décoré avec gout, c'est comme ci cet appartement était fait pour elle. Evidemment les premières semaines elle avait dû arranger quelques détails, repeindre quelques petites choses, arranger la décoration à son gout, mais rien de compliqué, et puis elle aimait ça, ce côté artistique de la décoration d'intérieur...
Au bout de quelques mois en ville elle se mit à chercher pour s'installer mais aucun logement ne lui plaisait, et elle ne supportait plus l'hôtel où elle séjournait. Elle avait bien envie de rester, mais trouver son endroit à elle c'était important à ses yeux, un endroit ou l'on se sens à l'abris, dans lequel on se sente bien. Elle était quasiment résignée, et prête à quitter la ville quand elle a pensé à ce vieil ami. Un des rare qui restait... C'était le plus vieil ami de son défunt mari et aussi le plus proche. Ils se connaissaient depuis 18 ans. Elle avait hésité à l'appeler, mais l'envie de rester dans cette ville était la plus forte. Mat était agent immobilier, tout comme son mari, et leurs affaires marchaient très bien, ils étaient associés depuis 10 ans déjà, avant que le drame ne survienne... Grâce à ce job, Evy et Denny avaient une vie plus que confortable. Bien-sur les débuts n'avaient pas été faciles, se faire une clientèle prend du temps, Evy avait beaucoup aidé les deux hommes dans les premiers mois. Mais ils étaient soudés, sur la même longueur d'onde, c'était des battants et il ne leur a pas fallu longtemps pour s'imposer dans la région comme les plus gros promoteurs. Cela permettait à Evy de vivre de sa passion, l'écriture. Elle avait publié quelques livres, mais aucun best seller, cela lui importait peu, tout ce qu'elle aimait c'était le calme et la sérénité que lui apportait l'écriture. Et elle avait la chance de ne pas avoir à en vivre par elle même.
Lorsqu'Evy s'est retrouvée seule, elle a revendu leur villa, et a hérité de la part de Denny dans l'agence. Elle a préféré revendre cette part à Mat, même s'il avait insisté pour rester et continuer à faire tourner l'entreprise avec lui. Mais c'était impossible pour Evy, elle devait partir, c'était le seul moyen pour elle de survivre, elle le savait.
Alors avec cette fortune en poche il ne lui restait plus qu'un endroit à trouver pour se poser. Et justement, cet endroit elle pensait l'avoir trouvé, c'est pour ça qu'elle fit l'effort d'appeler Mat, le seul à ne jamais avoir émis de jugements sur ce qui c'était passé, peut être parce qu'il les connaissaient mieux que quiconque et qu'il savait qu'Evy n'avait rien à voir dans ce qui c'était passé. Ou que, tout du moins, elle n'aurait jamais voulu ni causé la mort de sa famille. Evy s'était toujours demandée si Mat n'avait pas un coup de cœur pour elle. Il n'avait jamais trouvé son âme sœur, fréquentait des femmes, mais ça ne durait jamais. Il était très présent dans la vie de famille d'Evy, toujours là aux anniversaires, à Noel, à Thanksgiving... Il était heureux avec eux, et eux aimaient sa présence, il était un membre de la famille.
Cet appel fit du bien à Evy, il y avait si longtemps qu'elle ne lui avait pas parlé, et ne parlons pas de Mat qui n'avait pas eu de nouvelles depuis des semaines.

Photo de Mat @Tom Ellis



* La sonnerie retentit*


Allo

Allo, Mat ? C'est Ev

*Un silence s'installe, un peu trop long, rendant l'atmosphère pesante*

Ev ! Tu vas bien ?

Oui, ne t'inquiète pas, tout va très bien.

Ça fait des mois que tu ne m'as pas donnée de nouvelles Evy !

Son ton s'était endurci, il paraissait en colère, et quand Mat prononçait son nom en entier ce n'était pas très bon signe. Evy n'arrivait plus à parler, elle se sentait coupable, elle n'aurait pas du le mettre de côté de cette façon mais Mat lui rappelait trop sa vie d'avant, et c'était encore difficile pour elle.

Tu te rappelle que l'on avait un accord ? Je te laisse partir sans te retenir, mais tu dois me donner des nouvelles chaque semaine et me dire où tu te trouve ! C'était la règle Evy ! J'ai cru que tu était morte, je t'ai cherché partout, sans adresse, son téléphone ! J'ai eu tellement peur !

Excuse moi Mat. Je ne me suis pas rendu compte. Tu as raison je n'ai pas respecté les règles. J'ai été égoïste. J'avais besoin de cette pause. De ne plus penser à tout ce que j'ai perdu. J'essai d'avancer... Je ne sais pas si tu va comprendre. Chaque fois que l'on se parle j'ai l'impression de replonger. Ce n'est pas ta faute. Tu n'y es pour rien et tu es mon seul soutient sur cette terre aujourd'hui. Mais je m'excuse. Je me rend compte que tu t'es énormément inquiété et ce n'est pas ce que je voulais

Mat ne savait pas refuser grand chose à Evy, et ce depuis toujours. Rassuré, il se détendit et repris la conversation.

Oui je sais Evy. Je sais à quoi je te fais penser, et c'est la pire malédiction de ma vie ! J'espère qu'avec le temps les choses changerons.

Comment vas tu ? Où es tu ? Qu'as tu fais ces derniers mois ?

Je suis à Longford, dans le Colorado


Dans le Colorado ? Depuis combien de temps ? Et qu'as tu fait avant ça


En fait ... J'y suis depuis tout ce temps, je loge dans un hôtel.

Tu t'es posé dans cette ville depuis des mois et tu n'as pas pensé une seconde à m'appeler pour me le dire ?

On entendait encore un peu de colère dans sa voix mais surtout de la tristesse. Il était vexé et se sentait rejeté par Evy.

Pardonne moi Mat. Vraiment. J'avais besoin de faire semblant que ma vie n'était pas une tornade prête à me broyer à chaque instant ! Tu comprends ? J'ai eu besoin de tout oublier, de recommencer, c'est pour ça que je suis partie. Je suis désolée que ça te fasse souffrir, encore une fois tu n'y es pour rien. C'est cette chienne de vie...

Evy ne pouvait plus continuer à parler. Une énorme pression se faisait sentir dans sa gorge. Les larmes lui montaient aux yeux. Le silence s'installait.

Ev. Parle moi. Je suis désolé. Je sais que tu vis un cauchemar. Je comprends. Mais j'aimerais tellement être une épaule pour toi. Et pas un rappel de toutes les horreurs que tu as vécu...

Alors racontes moi, cette ville, elle est comment ? Elle te plait tant que ça pour décider d'y rester si longtemps ? Tu comptes t'installer ?

Oui cette ville me plait. Je ne sais pas expliquer pourquoi. Evidemment ce n'est pas simple de repartir de zéro et d'arriver dans une ville où l'on ne connait personne. Mais les gens sont accueillant, cette ville a la taille idéale, on y trouve tout, mais elle n'est pas trop immense, cela lui laisse le charme des petites villes ou tout le monde se connait. Il y a une ambiance particulière. Je m'y sens bien. J'espère décrocher un poste de professeur. Plus pour m'occuper qu'autre chose.

Professeur ? Pourquoi pas. Tu n'écris plus ?

Je n'y arrive plus...

*Silence pesant*

Ça à l'air sympa tout ça mais pourtant j'au l'impression que quelque chose ne va pas

Tu me connais trop bien Mat.

Ah, je sens que je t'ai fait sourire, je l'ai entendu à ta voix ! Allez dis moi, c'est quoi qui cloche ?

Je ne trouve aucun logement à mon gout ici, je n'arrive pas à trouver mon petit cocon...

Pour ça je peux peut être t'aider. J'ai beaucoup de relations comme tu le sais, je vais passer quelques coup de fils et voir ce que je peux faire. Que cherches tu exactement ?

Evy était contente qu'il propose son aide, vu le contexte elle se sentait mal à l'aise de lui demander directement, et surtout qu'il pense que cet appel était intéressé, ce qui était un peu le cas. Evy venait de réaliser à quel point elle avait été égoïste, Mat a beaucoup souffert aussi et elle n'a fait que rajouter de l'huile sur le feu.

Un appartement, si possible dans l'avenue principale. Lumineux et spacieux. Tu crois que tu peux m'aider ?

C'est comme ci c'était fait ! Je te recontacte dès j'ai du nouveau. Mais au fait, as tu enfin un téléphone pour que l'on puisse te joindre ?

Oui, j'ai enfin un téléphone ! Le voici : 1 208 2906-15126

Ah enfin ! Ma petit Ev a finalement posé ses ailes... Me voilà ravi. Et dernière chose, si je te trouve la perle rare, tu me laisse venir te voir quand tu seras bien installé ! Deal ?

Ok promis, avec plaisir. Alors je te dis à bientôt

A bientôt ma belle. Je te rappelle vite.

*Les deux interlocuteurs raccrochent*

Rapidement Mat avait réussi à lui trouver l'appart de ces rêves, il avait tenu sa promesse... Elle n'a jamais su comment il s'était débrouillé pour lui dégoter un tel bien en si peu de temps dans la rue la plus prisée de Longford.

A ce jour elle n'avait toujours pas lancé l'invitation à Mat pour qu'il lui rende visite, il serait peut être temps de le faire. Depuis ils avaient repris contact régulièrement, ils s'appelaient souvent le dimanche matin, Evy aimait ce moment, elle s'installait dans son lit et ils se racontaient tout et rien, parfois cela pouvait durer des heures...

Elle redoutait un peu de le revoir. Mais elle savait que ce moment finirait bien par arriver.


Evy se leva enfin, sortie de ses rêves par son réveil. Elle mit un peu de temps à retrouver ses esprits. Quelle heure est t il ... quel jour sommes nous ...

La nuit avait été encore agité, toujours ces mêmes cauchemars.

Direction la cuisine pour un bon café noir. Sans ce breuvage Evy n'était capable de rien. Elle se dirigea vers sa terrasse, son petit havre de paix qu'elle aimait tant.


Il faisait vraiment beau dehors. Evy s'installa et commença à boire son café tout en regardant la rue en bas. Un moment privilégié, de quoi attaquer sa journée dans de bonnes conditions.

Décidée et déterminée, elle énonça à voix haute :

Aujourd'hui je vais me rendre à la mairie et demander si un poste de professeur est vacant au collège de Longford. Il faut maintenant que je fasse quelque chose de mes journées et que je rencontre plus de monde. Un travail est une bonne façon de commencer

De bonne humeur et confiante, elle regardait au loin, le regard vague.

Finalement cette ville lui donnera peut être à nouveau gout à la vie...

Codage par Libella sur Graphiorum